Renault 2087 Goélette 4x4
... et vogue la goélette


     
   

Article extrait du Magazine Passion 4x4 n°72 de Janvier 2001

Vous avez toujours rêvé de piloter un bahut, haut perché derrière un grand volant horizontal ? Si en prime l'engin possède quatre roues motrices et se conduit avec un simple permis V.L., alors c'est vraiment le Renault 2087 qui vous faut ! Un achat original et plutôt facile. Déstockés par l'armée depuis pas mal de temps, on en trouve un peu partout en France pour bien moins de 20 000 F.

Jusqu'à la fin des années 60, Renault ne s'était guère aventuré dans le 4x4, préférant adapter tant bien que mal -et parfois assez mal !- des véhicules de sa gamme, pour répondre aux besoins de certains marchés, notamment ceux de l'administration qui, du moins jusqu'à un passé récent, se devait d'acheter français. En 1951, la Colorale, plus connue sous le nom de Prairie, est proposée en version 4x4 "animée" si l'on peut dire, par un anémique 2,4 litres, crachotant 48 malheureux canassons qui doivent entraîner les deux tonnes de ce gros break.

 

Un "GÉO TROUVETOUT" à la Régie

Notre glorieuse armée française ayant alors fort à faire en Algérie, commande à la Régie Renault une camionnette 4x4 à fin de compléter ces effectifs de Dodge WC51 et 52 datant de la libération. La base existe : c'est utilitaire r2067, plus poétiquement baptisé "Goélette", de 1400 kilos de charge utile. Cet engin, lancé peu après la guerre, c'est le bonheur des artisans maçons et des commerçants en primeurs. En partant de ce modèle qui, jusqu'en 1957 ne disposait que d'un quatre cylindres de 53 chevaux, la Régie concocte une adaptation digne de figurer parmi les trouvailles de "Trouvetout". Voici la recette : on garde le châssis biscornu du petit camion Renault, avec son empattement court et sa mécanique placée en porte-à-faux à l'extrême avant et l'on surélève le tout sur de bons vieux ponts "banjo" et des paquets de lames de ressorts bien rigides. Enfin, on carrosse le tout d'une cabine torpédo bâchée, ce qui évite accessoirement de soigner aération, avec une benne recouverte d'une grosse toile pour amener hommes ou matériel. Une douillette version ambulance, entièrement tôlée sera parallèlement construite sur les mêmes bases mécaniques.

Le moteur est donc hérité de la frégate qui n'est déjà pas un foudre de guerre. Goélette, Frégate, la Régie aime jouer au combat naval. Touché, coulé !

Et la version "Étendard" de ce porte-drapeau national exhale 58 chevaux au placide régime de 3300 tr/mn. Quel rendement pour un 2,2 litres ! D'autant que le couple ne s'élève qu'à 14 m/kg à 2000 tours. Déjà, on pressant que ça va être dur en tout-terrain ! La boîte, toujours "Made in Billancourt" affiche quatre vitesses dont les trois derniers sont synchronisés et le transfert à deux rapports ne permet de rouler en 4x4 qu'avec la réduction enclenchée. Pas vraiment pratique ! Les ponts de type "banjo" et les freins à tambour complètent l'orchestre qui joue déjà terriblement rétro... Ah, les fifties !

Force est de constater que, obligée d'acheter français à tout prix (et on ne croit pas si bien dire !), l'Armée n'a guère le choix : il n'existait rien équivalent chez Peugeot ou Citroën pour remplacer les valeureux Dodge WC 51/52. Quant aux prototypes étudiés par Delahaye, Hotchkiss ou Latil, ce ne sont que de pathétiques élucubrations de constructeurs moribonds. Décidément, l'armée française aura toujours une guerre de retard et ce ne sont pas les Ford-Simca Cargo, avec leur pitoyable V8 latéral, qui relèveront le niveau...

Comme un pachyderme sur un fil !

Il a une bonne tête, ce bon vieux Renault 2087, surtout si on aime les véhicules rétro. Sa silhouette semble directement sortie d'un film noir et blanc de l'avant-guerre : cabine à pans coupés, face avant abrupte simplement égayée par deux petits phares de 4CV et calandre à barreaux de prison. Au trou, m'ferez 8 jours !

Entre la cabine et la benne, toutes deux bâchées, un espace permet le rangement vertical de la roue de secours, alors que le réservoir d'essence trouve refuge sous le châssis, douillettement protégé par un caillebotis de bois. Les grandes roues, chaussées de 900x16 finissent de surélever notre goélette déjà bien juchée sur ses ponts et le sommet de la grand-voile doit bien culminer à plus de 2 m 50. Attention les jours de grand vent ! Le pare-chocs avant, directement issu de l'utilitaire Renault, ceinture la carrosserie en tôles épaisses de chez robuste et protège les feux de "Black-out" utilisés pour les marches nocturnes en convoi. L'ascension de la face Nord du Renault réclame un minimum de souplesse pour agripper les poignées de maintien et lever la jambe à hauteur du marchepied. Nains de jardin, s'abstenir !

Une fois cet exploit sportif accompli, on peut souffler en contemplant le tableau de bord qui vous reporte instantanément à l'entre-deux-guerres. Un gros cadran octogonal, de la taille d'une horloge comtoise, renseigne sur la vitesse (vantard !), le carburant (gourmand !) et les ampères (du 24V, gonflé !). Des voyants, pour l'huile et les freins, sont censés s'allumer avant qu'il ne soit trop tard. Quelques boutons et tirettes bon marché pour le starter, les essuie-glaces et les clignotants sont complétés par un comodo de Dauphine à gauche du volant qui commande les lumières.

Contact, directement sur le coupe-batterie, et démarreur en titillant une tirette placée au pied du capot moteur, entre les deux sièges. L'étendard réveillé claque de ses 4 cylindres avec le chuintement d'admission caractéristique de ces moteurs. À moi, la première, où plutôt au passager, car la grille inversée place le premier rapport vers le siège de droite. Docile, le petit camion décolle ces 2,2 tonnes à vide et réclame aussitôt la seconde vitesse. La boîte apprécie un bon double pédalage, bien appliqué, pour rentrer les rapports. Ce qui laisse tout le temps de balader le levier à la recherche de la grille. Allez, ça roule, troisième depuis quatrième à la vitesse stupéfiante de 70 km/h. Surprise : le confort est bon à cette allure, même si le coussin d'épaisse moleskine marron rebondit allègrement. Quant à la visibilité, elle doit beaucoup à la position dominante qui permet d'anticiper dans le trafic. Sur les côtés, c'est carrément moins bon et le retour latéral de la bâche donne l'impression de conduire un fiacre. Fouette, cocher ! Et l'on rétrograde en troisième car à la moindre côte, l'Étendard baisse pavillon et l'aiguille du compteur retombe lamentablement. De rétrogradage en remise en vitesse, on se doute que le réservoir se vide rapidement. Si vous ne saviez pas pourquoi il y a un Jerrican logé derrière la cabine, vous voilà fixé !

Des sensations bon marché

Voilà un petit chemin à droite qui nous tend ses ornières : arrêt complet pour craboter à l'aide d'un levier prévu pour résister à une armée de turcs. "Clonk", nous voilà en 4x4 et aussi en "courtes". C'est tout ou rien. Vu ?Rompez ! Malgré son poids et son encombrement, le Renault reste amusant dans ce chemin forestier ou les tracteurs ont laissé de grandes ornières. Avec sa garde au sol et ses grands pneus en 900x16, il absorbe le gras des bourbiers et les quelques marches avec facilité et, plus étonnant, dans un certain confort. La direction, douce et précise pour un engin de cet âge, permet de placer la bête avec précision. Ce qui est totalement indispensable -et j'insiste- si on veut tenter de franchir un talus ou une pente abrupte. Il est en effet impératif de se placer face à la difficulté et grimper le pied dedans en priant que toues les chevaux soient bien réveillés ! Car le poussif quatre en ligne s'étouffe quelquefois en plein effort, et cale. Expérience vécue : pas de panique ! Enclencher la marche arrière et laisser redescendre bien droit, sans toucher aux freins. Pas toujours facile car la visibilité arrière et proche de zéro. Nouvel essai, en première bien sûr, car la réduction n'est pas suffisante, et gaz !... La descente est beaucoup plus impressionnante et vous en donne pour votre argent. Rien qu'à imaginer le centre de gravité de l'engin, haut perché, le poids du moteur placé en porte-à-faux tout à l'avant et la benne arrière totalement vide, il y a de quoi vouloir sauter en marche ! Si on ajoute que la réduction insuffisante ne retient pas assez le véhicules et qu'il est interdit de toucher aux freins sous peine de partir en luge, vous devinerez qu'on s'applique et qu'on ne prend pas le temps de demander l'heure ! En voilà un susceptible qui ne demande qu'à se retourner par l'avant ou à verser délicatement sur le côté qu'on n'a pas choisi dès qu'on le chatouille !

C'est sûr, l'engin demande de conduire avec la tête. Frimeurs, pieds lourds et kakous s'abstenir moyennant quoi, il vous gratifiera d'intenses moments de pilotage où calcul, technique et, éventuellement, muscles, seront requis. Sinon, plus prosaïquement, il rendra mille services dans une exploitation agricole ou forestière voire dans une résidence secondaire. Et au tarif où il se négocie, il faudrait être fou pour dépenser plus.

Jean-Paul Decker

Matricule 2087 ou la carrière d'un militaire

Les unités de l'armée française ont été dotées du Renault 2087 4x4 à partir de 1957. Construit en grand nombre, il a commencé à être démobilisé qu'à compter du milieu des années 70, les ambulances jouant encore un peu les prolongations. Toutes les versions militaires ont été construites par Renault, mais la société Sinpar qui avait étudié pour le compte de la Régie les techniques de conversion et réalisé les pièces spécifiques, se chargeait de commercialiser la transformation 4x4 à des clients civils ou à des administrations.

C'est ainsi que des corps de sapeurs-pompiers ont été équipés de 2087 qui se reconnaissaient leur cabine tôlée. Les PTT de l'époque ont reçu également des fourgons tôlés 4x4 pour les régions de montagne.

Les colonnes mobiles de la protection civile ont été dotées de r2087 à plateau ridelles bâché qui se distinguent des modèles armée par sa cabine tôlée identique à la version civile, à l'exception des feux réglementaires de convois. Ce dernier modèle ne doit pas être confondu avec le r2240 4x4, la version 2,5 tonnes du " Galion " Renault, transformé aussi par Sinpar qui nécessite le permis C pour circuler entre autres contraintes...

Mais si vous recherchez l'oiseau rare, vous pouvez toujours rêver à l'un des trois command-cars, dérivés du 2087 est construits par carrossier Carrier pour la protection civile. Peu pratique à l'usage, il n'ont servi que pour quelques défilés sur les Champs-Élysées ! De vrais collectors.

 

Goélette ou galère ?

Comme beaucoup de véhicules anciens, l'utilisation de la goélette Renault sous-entend que l'intendance suit et que les pièces doivent pouvoir se trouver sans avis de recherche. Le 2087 n'étant pas l'objet d'un culte délirant il n'existe pas de club de passionnés pour répondre aux demandes et, de toute façon, l'engin a été conçu par Renault comme une sorte de gros Meccano avec des composants de véhicules de la Régie. Ainsi, phares, commutateur du tableau de bord, poignées de portières sont issus de la gamme tourisme (Dauphine, Frégate) et se trouvent facilement dans les casses où les bourses d'échange.

La mécanique est encore disponible chez Renault, car elle a animé nombre d'utilitaires chez Saviem et RVI.

Le prix, par contre, sera plus actuel... Hubert Rey-Demaneuf, spécialiste des véhicules de surplus, connaît bien le r2087 : "c'est un véhicule beaucoup plus solide que le TP3 qui lui a succédé. L'engin est increvable, mais il est primordial de toujours vérifier le niveau d'huile dans la boîte de transfert. S'il y a de l'huile, ça ne casse pas ! Pour le reste, il y a de la pièce en quantité chez tous les spécialistes de véhicules militaires."

Moteur : pas de souci, sinon une certaine nonchalance. Un moteur diesel, celui monté sur les Saviem SG2, peut venir le remplacer, mais le bouilleur à essence et solide. Vérifier le circuit de refroidissement.

Transmission : boîtes de vitesses et de transfert ne posent pas de problèmes, à condition de vérifier les niveaux. Seuls les arbres de roues arrière cassent de temps à autre...

Châssis / carrosserie : peu sensible à la corrosion, le 2087 est en général sain. Vérifier les portières, en tôle doublée, l'humidité pouvant en corroder la partie inférieure. La sellerie, très succincte, provient de l'utilitaire Renault et son revêtement et du genre costaud. Finalement, c'est le bâchage qui risque d'être le poste le plus coûteux si l'engin convoité n'est pas parfait de ce côté.

Électricité : généralement en 24 volts, le 2087 est alimenté par deux batteries 12 volts placées dans un caisson à droite dans la benne. Attention à leur fixation lors d'évolutions musclées en tout-terrain !

La version ambulance, plus rare, n'a pas cet inconvénient et peut se transformer en camping car pour voyageurs peu pressés. Mais ce modèle, en tout-terrain, aggrave son cas avec un poids plus conséquent et un centre de gravité encore plus haut perché ! Et puis, la balade en 2087, cabine débâchée, têtes au vent dans les sous-bois, est tellement agréable.

 

J'en veux un tout de suite !

Tout de suite ? C'est Facile. L'armée française a déstocké ces Renault r2087 depuis pas mal de temps pour les remplacer par des Saviem TP3, puis par des Renault TRM.

Certains revendeurs en ont des parcs entiers. Doté d'une meilleure direction que le TP3 Saviem, il est tout de même plus recherché est aussi plus agréable dans une utilisation mixte loisirs/utilitaire occasionnel. Pouvant être conduit avec le simple permis B, il peut rendre mille services à la campagne. Certains l'utilisent comme camping-car rustique (après tout, livré d'origine avec la toile de tente, si vous dormez dans la benne !) Et une petite traversée de la France profonde par les chemins buissonniers ne doit pas être désagréable a bord de la Goélette…

Par contre, les voyages sahariens ne sont à envisager qu'avec d'extrêmes précautions, vu la consommation, la vitesse de pointe, le poids et la difficulté de trouver outre-mer, certaines pièces. Encore que le continent africain voit toujours circuler d'inénarrables taxi-brousse, basés pour beaucoup sur l'utilitaire Renault et que bien des "sorciers" de villages doivent savoir remettre sur pied avec les remèdes locaux...

Un exemplaire se négocie rarement moins de 12 000 F avec un bâchage en bon état, car il en coûte presque autant à repasser par le poste "sellerie". Bien sûr, il faut compter 15 à 18 litres aux cent en moyenne, sans faire de méchant crapahut et avec 100 F de plombé, vous aurez le temps d'aller chercher le pain le dimanche matin.

Alors, un diesel ? Oui, mais il faut relever les manches. Tout peut se monter, bien entendu, avec de la patience de l'argent, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? La plupart des "diésélisés" ont reçu un classique Perkins qui motorisait quelquefois les utilitaires Renault Galion 2TS à une époque où la Régie ne possédait pas de groupe "mazout". Vieux, usagé et forcément kilométré, ce moulin n'apportera guère plus de chevaux que l'Étendard, mais certainement, beaucoup plus de bruit et de fumée... Dernier détail, l'objet de vos rêves doit arborer une carte grise en bonne et due forme, de préférence normale. Celle dite "de collection" n'est pas assurée de jouir éternellement de l'agrément de Bruxelles... Même si elle vous exonère du traditionnel contrôle technique.

 

   
     


     
 
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